BRINKMAN ET STRUTHERS ~ "RÉCIDIVISTES" 

Une exposition d’oeuvres de techniques variées à la Galerie de la Ville, 
Dollard-des-Ormeaux, Québec, Canada
Conservatrice : Claudine Ascher ~ Conservatrice invitée : Diane Collet

Galerie de la Ville - Exposition "Récidivistes" - Photo de Myriam Frenette

Le temps que je prenne une respiration, je suis transportée dans le monde ‘à donner des frissons dans le dos’ de Monica Brinkman et Tina Struthers.  En entrant dans la galerie, une explosion de couleurs et de textures vous invitent à avancer.  J’hésite sur le seuil.  

Qu’est-ce qui se passe ici?  


Un travail soigné, une virtuosité, une qualité artistique et une créativité tout à fait éblouissants.

Je suis envoûtée, fascinée, en pénétrant doucement dans l’enceinte de la galerie. Un rapide tour d’horizon dévoile un cosmos d’extraterrestres sous verre, de créatures sous-marines, de super-héros/héroïnes, et de ces pointes en très grand nombre. Je suis dans une pièce aux mille merveilles qui dépassent de loin la réalité et je me suis rétrécie comme Alice pour me permettre d’explorer ce microcosme distendu.  Des couleurs vives maquillent un élixir alchimique de pensées et de sentiments complexes.  

Tina Struthers - Photo de Myriam Frenette
Tina Struthers a grandi à Le Cap en Afrique du Sud, a immigré au Canada en 2008 puis s’est installée au Québec en 2011.  La majeure partie de son oeuvre porte sur l’expérience du déplacement.

Le déracinement est un processus intéressant. Comme une plante devenue trop grande pour son pot, les racines se plaignent un peu lorsqu’elles sont initialement retirées de leur contenant en vue d’un rempotage éventuel, mais finalement elles s’adaptent et apprécient la marge d’espace additionnelle que leur procure le nouveau pot plus grand et la terre ajoutée. 

Remarquablement, en moins de cinq ans, Struthers a appris le français et s’est parfaitement intégrée au sein de la communauté. S’impliquant activement dans des projets de médiation culturelle et dans la création de commandes de grande envergure pour la région, elle est une artiste multidisciplinaire, une couturière et une conceptrice de costumes pour le théâtre et la danse grandement respectées. 
  
Ses réalisations soulignent son incroyable force de caractère. Elle est l’image d’un lapin Energizer discipliné, brûlant son énergie sur commande. Faisant preuve d’une excellente force de concentration, elle est un bourreau de travail qui ne semble trouver son plaisir qu’en faisant deux choses à la fois (tel qu’en cousant ensemble un de ses éléments textiles tout en pensant à son prochain projet). Possédée d’un esprit d’acrobate (elle adore grimper et suspendre des choses), elle repousse constamment les frontières de ses médiums.

Entrelacés dans chacune des pièces d’art se précisent les préoccupations environnementales, les différences entre l’Afrique du Sud et le Canada, les effets de l’eau et du vent, les racines et le développement, les créatures fantastiques et les spécimens provenant du plus profond de son imagination, la pluie ou son absence, les ombres, la nostalgie face aux sons et aux rythmes des mots afrikaners, les blocs de construction, et les couleurs vives rappelant les textiles africains. 

"I Need My Cape"
Parfois notre super-héros a besoin de Cape Town.
Vue arrière de "I Need My Cape"
La fermeture éclair ouverte révèle une colonne vertébrale 
(sa force à l’intérieur)



















Détail de  "I Need My Cape"



Ces oeuvres magnifiques sont chargées de sens provenant souvent du passé de Struthers. "Patina" révèle une cuirasse de peau endurcie, agrémentée de parures, moulant le torse d’une femme et qui n’arrive pas complètement à la protéger des agressions de la vie.  Certaines proviennent de l’intérieur (de naissance), alors que d’autres attaques découlent de sources externes. Avec la patine du temps, le bouclier renforce et transforme le corps en celui d’une super-héroïne. 


"Patina" by Tina Struthers

Tout réside toujours dans les détails. Un gros plan de "Patina" révèle un perlage tout à fait exquis entrelacé de biais élégant et de tissu coloré.  Le torse est garni de pointes dans son dos. Curieusement, ce sont des pointes douces.

Detail de "Patina"

Pointes dans le dos de "Patina"





































Ayant grandi au bord de l’océan, Struthers est particulièrement fascinée par les créatures exotiques qui produisent leur propre lumière dans les sombres profondeurs secrètes de nos mers. Ces créatures deviennent la métaphore idéale de sa propre odyssée à travers les continents. Bien que toutes les œuvres dégagent une extrême puissance, je suis attirée dans chacune de ces pièces par la richesse des détails et les contorsions de ses espèces sauvages. Le jeu de la clarté et de l’obscurité fascine Struthers. Elle s’anime lorsqu’elle est témoin du changement des ombres projetées comme par magie sur les murs et les planchers. "Personne ne peut saisir les ombres", dit-elle.  

"Time to grow"


"Time to grow' ~ contorsions



Yellow Specimen
   



Détail de Yellow Specimen















Une partie de "Amans" et ses ombres frappantes

"Amans" – Regard à l’intérieur

En Afrique, il n’y a pas suffisamment d’eau. En revanche, le Canada en a en abondance.  Struthers habitait près de l’océan mais l’eau était inutilisable. Ayant grandi dans un pays où l’eau est une matière première précieuse, elle déplore le gaspillage excessif. Une société du prêt-à-jeter contamine ce qui donne la vie à tous les organismes vivants. Une chasseuse aux trésors dynamique, Struthers réutilise le matériel restant des robes de mariée qu’elle confectionne, recycle les objets trouvés, et fait ses courses dans des magasins d’occasion à la recherche de précieux tissus provenant de biens patrimoniaux.  

La peinture en techniques mixtes "Waste" commence avec un arrière-plan de papier froissé, de dentelle, de métal provenant de cassettes audio, et de peinture. Des vis sont insérées dans les côtés du panneau. Des fils qui percent des fragments de tuyaux en caoutchouc tranchés sont attachés aux vis, tendus au-dessus de la sous-structure de sorte qu’ils donnent une impression de flotter, engendrant un effet de vacillement. Cette oeuvre impressionnante incarne la beauté des choses rejetées.

"Waste"
Détail de "Waste"

Monica Brinkman - Photo de Myriam Frenette
Monica Brinkman a passé ses étés sur une plage océane du Nouveau-Brunswick et à un chalet d’été au Lake of Bays, en Ontario  (Rabbit Bay). La fille d’un père immigrant allemand et d’une mère acadienne des Maritimes, elle se sent particulièrement choyée à l’effet que ses meilleurs souvenirs d’enfance proviennent d’excursions quotidiennes dans des endroits imprévisibles, éloignés et isolés. 

Elle prétendait être une exploratrice/biologiste marine et ramenait à sa maison pour dissection scientifique de nombreux spécimens morts échoués sur la côte. Elle examinait chaque organisme de façon détaillée et, par le jeu et l’imagination, développa une passion pour les détails et les textures de la vie géologique et marine, une fascination qui se poursuit encore aujourd’hui.

Ces aventures offraient le cadre parfait dans le développement de son approche éclectique avec la mosaïque. Aucun déchet ne jonchait la plage du Nouveau-Brunswick à part quelques morceaux de verre brisé qui, à son esprit, se métamorphosait en verre précieux. Des gemmes vertes et ambrées provenaient des bouteilles de boissons gazeuses et de bière. Des joyaux bleus étaient plus rares et le morceau de verre rouge occasionnel était appelé un "rubis de l’océan". La pierre, le verre et la vie marine changeaient de couleur sous l’eau. Brinkman est devenue "accro de la lumière".

En Ontario, elle passait son temps à courir les bois à l’intérieur desquels elle avait créé un monde imaginaire qui l’effrayait et la stimulait à la fois. Curieusement, de telles émotions opposées donnent vie à plusieurs de ses créations actuelles.

Brinkman était horrifiée et anéantie par la pauvreté et la souffrance dont elle a été témoin lors de voyages avec sa famille au Brésil et à Haïti. Elle demeure tout aussi troublée par les difficultés auxquelles doivent faire face quotidiennement les Autochtones canadiens.

Elle est fortement engagée auprès de la communauté. Ses ateliers et ses projets créatifs s’adressent à tout le monde incluant les enfants, les personnes âgées, et les personnes ayant une déficience intellectuelle. Les mosaïques embellissent diverses municipalités ; notamment un vieux tracteur récupéré de la ferraille, un article mis au rebut, des murs, des planchers et du mobilier transformés par magie en objets de valeur aux allures uniques.


"Jolene" de Monica Brinkman

Detail du coeur de Jolene

"Jolene" est un autoportrait. Certaines personnes ont le coeur sur la main mais Jolene exhibe des coeurs sans aucun complexe sur diverses parties de son corps. Un gros coeur se développe en dehors de sa poitrine alors qu’une rangée de coeurs se change en colonne vertébrale. 

Les yeux de Jolene
Des yeux reproduits sur les deux côtés du torse signifient qu’elle ne fermera pas les yeux devant les gens dans le besoin.

Comme Struthers, Brinkman ne s’oppose pas aux pointes bien que celles-ci se manifestent différemment, ici sous la forme naturelle de cornes de chevreuil qui saillissent dans le dos symbolisant la conscience de soi et la résilience. 

Parce que son approche envers les mosaïques n’est pas traditionnelle, plusieurs de ses oeuvres tridimensionnelles se tournent vers l’assemblage.  Presque tout peut être "suprarecyclé" (upcycled) et converti en art.


Cornes de conscience de soi



"Make Time for Tea" (ci-dessous) est un espoir de paix. Le thé est le deuxième breuvage le plus consommé au monde. Brinkman avait l’habitude de servir le thé au salon de thé d’une boutique de courtepointe, et l’expérience a réaffirmé ses convictions à l’effet que partager le thé est une manière élégante et efficace d’apprendre à connaître et à comprendre les autres. D’heureux et de tristes moments sont fragmentés dans chaque personne. Des petits morceaux de connaissance, des petits morceaux d’émotion, des petits morceaux de tasses et de soucoupes brisées, une avalanche de petits morceaux réunis dans cette oeuvre très élaborée qui ressemble curieusement à une courtepointe.

"Make Time For Tea" - photo de Myriam Frenette



Détail de "Make Time For Tea"




"Seebriese" (Air marin ou "sea breeze" en allemand) fait allusion aux origines de Brinkman et à ses mondes imaginaires du Nouveau-Brunswick et de Lake of Bays.  Une corne de chevreuil sort de son cou, elle fait une avec la terre, partie de la faune sauvage.  Une petite boîte encastrée dans l’abdomen contient un papillon, un spécimen conservé par un collectionneur passionné.  Est-il mort ou vivant? L’artiste a des papillons dans l’estomac au moment d’explorer l’inconnu.

Cette oeuvre est extrêmement complexe. Les couleurs sont riches et raffinées et les matériaux contrastants invitent le spectateur à explorer la surface, pour voir ce que voit Brinkman. Elle est sans équivoque, "Nous ne sommes pas séparés de la nature, tout est  interconnecté".




Seebriese - Photo de Myriam Frenette

Elle adore travailler avec des miroirs qui reflètent la vie. Lorsqu’utilisés dans les mosaïques, tout est en mouvement. Dans ce gros plan, les fragments de miroir, le tissu et la "boîte abdomen-papillon" imprévisible révèlent comment des détails complexes deviennent un ensemble envoûtant.




Une touche de fantaisie anime "The Looker", un jeu de mots / images.  Brinkman voit la vie dans les tons de gris, rien n'est noir et blanc pour elle.  La société doit regarder au-delà des apparences et elle souhaite que les femmes joueront un rôle actif dans la création d'une communauté où il n'y a pas d'extrêmes.  Une défenseure de la paix, elle est activement impliquée dans World Citizen Artists, un groupe international d'individus créatifs qui croient qu'ils peuvent ensemble apporter des changements positifs dans le monde.

"The Looker" - Photo by Myriam Frenette

Cette exposition impressionnante et multicouches ne doit pas être manquée.  Elle se poursuivra à la Galerie de la Ville, 12001 boul. de Salaberry, Dollard-des-Ormeaux jusqu'au 18 décembre 2016. 
Traduction:  Louise Mancini, Centre des arts de Dollard

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